Incroyable mais vrai : rien qu’en France, environ sept millions d’automobilistes et motocyclistes ont des problèmes de vue… Ils continuent pourtant à conduire comme si de rien n’était, au péril de leur vie, et de celle des autres. Car comme le dit le slogan, « au volant, la vue c’est la vie »
Comment est-il possible de ne pas avoir conscience de ses troubles de la vue ?
Dans la très grande majorité des cas, la vue ne s’altère pas du jour au lendemain, cela prend des mois, des années. La personne s’habitue ainsi progressivement aux changements de sa vision. Certes elle voit moins bien qu’avant mais considère cela comme normal. Certains de mes patients n’ont plus que 3 à 4/10èmes (la vue est parfaite à 10/10èmes) et continuent pourtant à conduire !
C’est une situation à laquelle je suis très fréquemment confronté avec les malades que j’ai opérés de la cataracte. Beaucoup d’entre eux conduisaient avant l’intervention en dépit de leur mauvaise vue mais ils ne prennent conscience de leur problème qu’après coup, une fois qu’ils ont récupéré une vue normale. Tous me disent : «Docteur, je ne m’en rendais pas compte mais je voyais très mal avant…». C’est un phénomène très courant.
La réglementation française ne prévoit-elle pas des contrôles de la vue ?
La plupart du temps, l’examen de la vue a lieu lorsque le candidat passe son permis : l’examinateur lui demande de lire la plaque d’immatriculation d’une voiture. Un examen médical préalable n’est prévu que dans des situations particulières, pour une personne qui a totalement perdu la vue d’un oeil par exemple. Mais une fois le permis en poche, seuls les professionnels sont soumis à des contrôles réguliers de la vue. Toutefois, un conducteur impliqué dans un accident corporel peut être soumis à un contrôle de sa vue.
Qu’est-ce qu’une bonne vue ?
On pense avant tout à la vision de près et de loin. Il est bien sûr essentiel de pouvoir lire un panneau de signalisation ou de discerner un obstacle qui surgit brusquement devant son véhicule. Mais ce n’est pas tout. Il faut également prendre en compte le champ visuel (la «largeur» de la vue), il est tout aussi important. Lorsqu’on conduit, on regarde certes en face de soi mais il est également capital de surveiller ce qui se passe sur le côté pour y distinguer un éventuel signal d’alerte, une voiture qui vous double par exemple. Il existe un test simple pour l’évaluer. Debout, vous tendez les bras devant vous, les pouces en l’air à hauteur des yeux. Vous les bougez et, sans bouger la tête, vous écartez progressivement les bras. Vous les arrêtez lorsque vous ne voyez plus vos pouces. Lorsque tout va bien, vos bras sont approximativement dans le prolongement l’un de l’autre.
Cette notion est très importante car de nombreuses maladies (le glaucome par exemple) altèrent le champ visuel : ce problème concerne environ 1,5 à 2 millions de personnes en France.
La vision «binoculaire» est également essentielle puisqu’elle permet d’apprécier le relief..
La vue est-elle modifiée la nuit ?
L’obscurité altère la vision des contrastes, modifie l’appréciation des distances et majore la myopie. Ces phénomènes s’aggravent avec l’âge ou chez les personnes qui souffrent d’une cataracte. Il existe également un risque d’éblouissement si on fixe les phares d’une voiture qui vient en face. On doit donc se montrer particulièrement prudent lorsqu’on conduit la nuit. Il faut notamment parfaitement nettoyer son pare-brise. A l’extérieur bien sûr, pour le débarrasser des salissures et des insectes mais aussi, on n’y pense pas assez, à l’intérieur. Au fil des semaines, il se couvre en effet d’une pellicule susceptible de créer un halo et donc de gêner la vision. Par ailleurs, la récupération après éblouissement s’allonge avec l’âge. On doit bien entendu nettoyer ses phares (sales, ils perdent 40 à 70% de leur efficacité) ainsi que les feux arrières de la voiture pour être vu des autres automobilistes.
A l’inverse, que recommander pour conduire en plein soleil ?
On doit porter une paire de lunettes teintées ou des «sur-lunettes» pour se protéger les yeux. Leur couleur n’a guère d’importance. Certains verres foncent au soleil (verres «photochromiques»), ils ne sont toutefois pas suffisants.
Serait-il judicieux de faire régulièrement contrôler sa vue par un médecin ?
Cela me paraîtrait effectivement utile. Jusqu’à 45 ans, un contrôle tous les cinq ans me semble raisonnable, tous les deux à trois ans ensuite ou plus souvent lorsqu’on porte des lunettes et que celles-ci ne semblent plus adaptées. Ces consultations sont aussi l’occasion de dépister des anomalies, de les traiter et surtout de prévenir leur aggravation (glaucome, cataracte) et d’avertir son patient des dangers de la mauvaise vue au volant. Je suis persuadé que cette précaution simple permettrait d’éviter un grand nombre d’accidents.